Saison 1 | Épisode 7
Bonne année 2020 !
Le passage à 2020 arrive. Traditionnellement, c’est le moment où l’on doit prendre des bonnes résolutions, comme si on pouvait effacer d’un geste de la main les excès de la fin d’année. 2019 était perdue de toute façon. Avec ce laisser-aller beaucoup d’entre vous dirons peut-être qu’ils se concentreront plus sur les choses qu’ils aiment, qu’ils changeront leurs habitudes, iront à la salle de sport, boirons moins, travailleront plus sérieusement, ou travailleront moins, justement… Ne réfléchissez pas trop longtemps, Big Penguin m’a chargé de vous transmettre vos nouvelles résolutions : pensez à la planète et soutenez sa cause, votez pour lui. C’est très simple. Une fois qu’il sera au pouvoir il s’occupera de tout. Vous n’aurez plus de soucis. Faites-lui confiance.
Je dois aussi vous témoigner du fait qu’il travaille très sérieusement sur votre avenir. Enfermé dans l’autre pièce de mon appartement (je ne sais comment, je me retrouve aujourd’hui à dormir sur le canapé du salon alors que Big Penguin s’est approprié ma chambre) il rédige son manifeste politique. De temps à autre, j’aperçois un de ses acolytes pingouins passer avec un ordre de mission, parfois l’un d’eux m’apporte un message de la part de son éminence. Hier un livreur de sushis est entré dans l’appartement sans que j’aie à lui ouvrir et à toqué directement à la porte de la chambre. L’impression d’avoir perdu le contrôle sur mon espace de vie s’impose de plus en plus dans mon esprit, mais tout va bien puisque Big Penguin est en charge…
Avec le passage à 2020, on ne peut aussi s’empêcher de réaliser une rétrospective mentale de ce que l’on a accompli l’an passé. Pour ma part, l’évènement marquant de cette année qui aura fondamentalement changé le cours de ma vie, c’est la rencontre de Big Penguin. À ce propos, je ne vous ai jamais raconté comment c’est arrivé !
Ça s’est à peu près déroulé comme suit…
Au courant de l’été dernier, j’errais en fin de journée sur l’asphalte encore brûlant des rues parisiennes, à la recherche d’un brin d’inspiration pour ma thèse. Au final, tout ce que je réussis à griffonner dans mon carnet cet après-midi-là, furent quelques vers assez médiocres. Malgré mon amour pour Baudelaire, je n’ai jamais été une grande poète. La tête en l’air, la thèse oubliée, mes pieds finirent par me ramener jusqu’à mon petit appartement, sans que je ne me rende compte que j’étais suivie et observée depuis un certain temps. Ce fut seulement dans la cage d’escalier qu’un bruit de pas insolite m’arracha à mes rêveries : « tap, tap, tap, tap ». Une démarche légère, vive et en même temps un peu gauche. Je m’arrêtai net, faisant trébucher celui qui me talonnait (à en juger par le bruit), confirmant ainsi sa maladresse. Sans me retourner, je repris mon ascension dans l’escalier, gravissant cette fois les marches deux à deux afin d’essayer de le distancer. Un piétinement précipité me poursuivait comme un écho. Mon palier atteint, sans crier gare, je fis volte-face, voulant prendre sur le fait mon poursuiveur. « HA !!!! »
Personne.
J’étais déçue. Soulagée. Vexée. Je ne sais plus trop. Je me sentais un peu ridicule. Pointait aussi le sentiment très sérieux que la thèse ou les tentatives vaines d’écrire des poèmes, ou les deux, commençaient à nuire réellement à ma santé mentale. « Note à
moi-même : contacter un psy. Où chercher un boulot. En tout cas voir des gens. Et éviter de leur dire que j’ai l’impression d’être suivie… que j’entends des brui… ». Un soupir d’impatience me fit sursauter.
Perplexe, je clignai des yeux et inspectai les lieux. « Ah… » En baissant le regard je le découvris : le pingouin. Enfin… plutôt un manchot.
Il était mignon. Très élégant avec son nœud papillon rouge et vert à carreaux.
Le manchot me dévisageait, l’air d’attendre quelque chose de ma part. Moi, j’essayais de me souvenir si j’avais bien noté le numéro du psy qu’un ami m’avait conseillé quelques mois auparavant.
– Alors ? On rentre ? Ou on reste sur le palier ?
– .. hum… je… euh… (LE PINGOUIN PARLE !)
– Aussi peu éloquente que douée pour écrire des poèmes !
– Hein ?
– C’est bien ce que je disais…
– Mais… tu es un Pingouin !
– Bien vu. Un sens de l’observation très aiguisé à ce que je vois.
– Un pingouin qui parle ! (Décidément je n’étais pas au meilleur de ma forme) Enfin… je veux dire, un manchot qui parle !
– Non ! Je suis un Pingouin. (Son ton était devenu subitement très sec)
– Mais… tu voles ?
– Là n’est pas la question. Cette dénomination française est extrêmement humiliante…
– Alors, tu viens du pôle Nord ?
– Du Pôle Sud. Arrête d’essayer d’être cultivée. Ça ne te réussit pas. Être traité de manchot est bien trop dégradant et ce n’est pas dans ton intérêt de me froisser !
J'aime, je partage !
Le Pingouin avait haussé la voix. Un frisson me parcouru l’échine. Ayant visiblement touché un point sensible, je cessai le débat. De toute façon je me trouvais dans mon immeuble parisien, face à un manchot qui se prenait pour un pingouin, en train de discuter de sa propre nature. D’un point de vue tout à fait objectif, je ne crois pas qu’il soit conseillé dans ces cas-là d’insister.
– Dis-donc, tu n’as pas l’air très dégourdie. Tu veux que je t’aide à passer la clé dans la serrure ?
En plus je me faisais insulter.
Je ne m’expliquerai jamais pourquoi j’ai ouvert la porte à ce moment. Le Pingouin s’engouffra de vitesse en premier. À peine avais-je ôté mes chaussures, que, déjà installé sur mon canapé, il s’était emparé de mon ordinateur portable :
– Je peux ?
– Euh… d’accord.
– Mot de passe ?
– Attend…
Pas très sereine à l’idée de donner mon code secret à un parfait inconnu, je me penchai sur le clavier en essayant de le dissimuler tant bien que mal.
– Mot de passe ? (il avait l’air surpris)
– Oui, c’est fait.
– Non, je veux dire, « motdepasse » c’est ton mot de passe ? Sérieusement ?
– Euh… et alors ?
– HA HA HA HA HA !!!!
Il éclata de rire. Se roula sur le canapé et tomba par terre. Maintenant il pleurait de rire. J’étais tellement vexée que je refermai l’écran et lui tournai le dos.
– Hi hi hi… c’est naze comme mot de passe ! Et pour ton téléphone c’est quoi ? 0000 ?
Agacée, je quittai la pièce, songeant qu’il faudrait que je trouve un autre code. Pour mon ordinateur. Et mon téléphone… À mon retour, il était déjà connecté à internet et lorsque je m’avançai pour vérifier ce qu’il faisait, il me demanda ma carte bancaire.
– Pardon ?
– Je commande des sushis. Il faut payer.
– Mais paye toi-même ! Comme si j’allais te donner mes coordonnées bancaires !
– Je n’ai pas de liquide. Et j’ai faim. Je peux en commander pour toi aussi si tu veux.
– … Quelle gentillesse de penser aussi à moi !
– Mais de rien. D’ailleurs ce serait bien que tu ailles les chercher. Je ne suis pas favorable à la livraison pour des raisons écologiques et tu seras plus rapide que moi.
J’étais bouche bée. Qu’est-ce qui était le plus incroyable ? Qu’un pingouin s’installe chez moi ? Qu’il commande des sushis ? Que je lui paie la commande ?
Je refusai de lui faire la livraison. Et je réglai en espèces…
Une fois, tous les deux assis dans mon salon avec le repas, je pus enfin apprendre la raison de sa venue. Je fus un peu dépitée lorsque je déballai la commande :
– Il n’y a que des sashimis.
– Je n’aime pas le riz.
– Mais moi j’aime bien… j’avais d’ailleurs commandé des makis. Ils sont où ?
– Je les ai supprimés. J’ai rajouté des sashimis saumon à la place.
Décidément je me faisais vraiment rouler depuis le début par ce pingouin. Gobant poisson après poisson, le bec à moitié plein (je vous épargne la description des bruitages), il m’annonça platement ses intentions :
– J’ai un boulot pour toi. Slurp. Gloups.
– Je ne cherche pas de boulot, (et surtout pas avec un pingouin qui s’est incrusté chez moi !) D’ailleurs, j’en ai déjà un !
– Ah bon ? (je dus le surprendre car il s’arrêta subitement d’engloutir le poisson)
– J’écris une thèse.
– Aaaaah ! Ça… (il se remit à manger) Slurp.
– Oui, la thèse c’est un travail !
– Pour ceux qui écrivent vraiment une thèse, peut-être. Slurp. Mais ce n’est pas ton cas.
– …
– Slurp.
– …
– J’ai un boulot pour toi, slurp, et ça te permettra de redonner sens à ta vie. Gloups. Parce que là, tu ne sais pas quoi faire de ton temps. Et ne me parle pas de ces textes que tu appelles « poèmes » !
Je refermai la bouche, parce que je m’apprêtai justement à rétorquer quelque chose à ce sujet, étonnée de le voir tenir mon carnet de notes. Quand l’avait-il subtilisé ? Je n’en avais aucune idée. Il déclama alors les derniers vers que j’avais produits cet après-midi même. L’intonation très solennelle qu’il employa pour déclamer mon œuvre jura fâcheusement avec la tonalité du texte :
« La Mouche à Merde »
Je l’observais sans piper mot. Il me semblait qu’une étincelle machiavélique scintillait au coin de son œil, tandis qu’il poursuivait, toujours avec un ton très sérieux :
« Écrasée par le soleil brûlant d’été
La mouche vacille, ainsi que l’ombre projetée
Sur la pelouse cramée du petit square,
Guettant entre pâquerettes fanées
Et brindilles solitaires desséchées,
Les mottes odorantes encore fumantes et noires… »
– …
– …
– …
La thématique est peut-être mal choisie…
– Tu ne sembles pas convaincue, dois-je en lire d’autres ?
– … Non, c’est bon. Je crois que tu as été assez clair…
Boudeuse, mon attention était maintenant tournée vers les emballages vides. Pendant ce temps, il avait boulotté tous les sashimis !
– Bien, maintenant que tu es prête à m’écouter, je peux te présenter le travail que tu auras à faire. Mon choix s’est porté sur toi parce que tu as visiblement beaucoup de temps libre, mais pas seulement. Si tes écrits ne révèlent pas de grand talent littéraire, ils attestent de tes affinités avec le monde animal. Je trouve ce penchant très inspirant. Vois-tu, j’ai la ferme intention d’être un jour à la tête du monde des Hommes. J’ai besoin qu’un humain m’aide à comprendre comment cette espèce fonctionne. Quelqu’un qui pourra aussi m’aider à exécuter certaines tâches afin d’arriver au pouvoir…
– Comme la livraison des sushis ?
– …
De fil en aiguille, je me suis retrouvée à travailler pour le Pingouin. Je ne l’avais pas vraiment pris au sérieux au début mais plus le temps passe, plus je réalise que j’ai peut-être eu tort… D’ailleurs, ce dernier a véritablement élu domicile dans mon appartement sous prétexte que deux pièces c’était trop pour moi toute seule. Probablement aussi parce que ça lui permettait de vérifier que je « ne m’écarte pasdu bon chemin » pour reprendre ses termes exacts.
Nous voilà aujourd’hui six mois plus tard, et tandis que le Professeur Poulpi s’accorde quelques jours de repos en bord de mer à Concarneau, Big Penguin travaille très activement sur sa campagne politique. Eh oui ! Les élections municipales parisiennes approchent, et comme me l’a annoncé Big Penguin l’autre jour :
« 2020 sera l’année du grand changement : l’année dont on se souviendra comme celle où Big Penguin a entamé son ascension au pouvoir ! »
Un épisode bonus vous attend le 1er janvier pour bien commencer la nouvelle année. Big Penguin racontera comment il a célébré son nouvel an !
Cet épisode a été écrit par
Anna Rat
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3 réflexions sur “Bonne année 2020 ! … et comment j’ai rencontré Big Penguin…”
… je te rappelle que je consacre chaque jour à ta campagne politique… quelle preuve de dévouement te faut-il en plus de ça ?
Ouai ! un jour il sera au pouvoir ! Vive Big Penguin !
Je sens de l’ironie dans tes propos… tu devrais m’être plus reconnaissante ! Un Jour je serai au pouvoir !