Saison 2 | Épisode 4
Dégradation du discours politique et moutons
Je commencerai aujourd’hui par vous raconter une histoire. François Rabelais écrivait au courant du 16ème siècle, le récit de deux géants, Gargantua et Pantagruel. Le compagnon roublard de ce dernier, Panurge, venait d’acheter au prix fort, un mouton à un marchand moqueur et querelleur. En voilà un extrait issu du Quart-Livre :
« Soudain, (…), Panurge, sans dire autre chose, jette en pleine mer son mouton criant et bêlant. Tous les autres moutons, criant et bêlant avec la même intonation, commencèrent à se jeter et sauter en mer à sa suite, à la file. C’était à qui sauterait le premier après leur compagnon. Il n’était pas possible de les en empêcher, comme vous connaissez le naturel du mouton, qui est de toujours suivre le premier, en quelque endroit qu’il aille. (…) »
L’expression « mouton de Panurge », issue de cet ouvrage, est toujours bien ancrée dans la langue et culture française. Ainsi, aujourd’hui encore, c’est par ces termes que l’on désigne une personne qui imite, obéit, suit sans se poser de questions, qui est servile et docile, qui a, comme aurait dit Rabelais, une « âme moutonnière ».
Nombreux sont les politiques qui cultivent ce fameux « comportement moutonnier » décrit ici. Mais plutôt que de revêtir le rôle du berger et de prendre soin de leurs moutons, ces derniers les poussent, comme Panurge, vers le précipice.
J’évoque cet extrait aujourd’hui pour deux raisons.
La première est une observation que je déplore et qui se rapporte au premier paragraphe de cet extrait : nombreux sont les politiques qui cultivent ce fameux « comportement moutonnier » décrit ici. Mais plutôt que de revêtir le rôle du berger et de prendre soin de leurs moutons, ces derniers les poussent, comme Panurge, vers le précipice.
Je vous quittais lors de ma dernière publication au sujet de la stratégie électorale douteuse de Big Penguin, en promettant de revenir sur les techniques de communications typiquement populistes de ce dernier. Les « astuces » qu’il a abordées dans son dernier texte ne font que confirmer la façon dont il a envisagé la politique jusqu’à aujourd’hui et appartiennent bien malheureusement à une tendance générale.
En effet, j’aime à penser que le choix électoral est guidé par la raison et doit donc être formé à partir du contenu divulgué, du programme, des intentions et orientations politiques. Mais si ces critères sont bien pris en compte par les électeurs, il ne s’agit pas des seuls paramètres. Il est bien connu dans l’histoire humaine que celui qui crie le plus fort a raison. Comme l’a bien compris Big Penguin, il est donc vital pour un candidat politique de prévoir une stratégie de communication efficace dès le début de la campagne. L’inconvénient, c’est que les méthodes préférées aujourd’hui consistent à manipuler les masses par leurs humeurs plutôt que de leur parler de raison. Alors que le débat politique s’appauvrit, c’est la démocratie elle-même qui est mise en danger.
La démocratie constitue un terme générique pour définir une multitude de régimes politiques au cœur desquels, à un moment donné, un groupe de personnes que l’on qualifie de « peuple » sera amené à s’exprimer sur l’exercice du pouvoir. À cette fin, il est nécessaire qu’il y ait une discussion, un débat public et différents discours politiques confrontés l’un à l’autre. On rejoint ici ce qu’on appelle une « démocratie pluraliste », reconnaissant la multitude d’intérêts et d’opinions au sein d’un peuple, en opposition à une démocratie dite, « unitaire » ou encore « rousseauiste » (car inspirée des écrits de Jean-Jacques Rousseau), reposant sur l’idée d’un peuple homogène. Le danger porté par cette dernière conception, est de ne plus reconnaître de voix aux minorités et groupes d’opposition, la majorité exprimant alors la volonté politique de tous.
J'aime, je partage !
C’est sur cette dernière conception de la démocratie que se fondent les discours populistes « à la Big Penguin ». En effet ils simplifient à l’extrême la vie politique, en réduisant les problèmes à ceux du quotidien, en effaçant les disparités sociétales au profit d’un peuple souverain uniforme et fictif, et en réduisant les intermédiaires : la voix du peuple est celle de son représentant direct issu de lui-même. Vox populi, vox Pingui, les espèces en voie d’extinction s’expriment par l’intermédiaire de Big Penguin, car qui de mieux qu’un pingouin dont la banquise fond pour comprendre leurs problèmes ? C’est de cette façon que, petit à petit, le monologue du pingouin remplace la discussion de fond que devraient mener les citoyens.
Cette recherche de proximité entre leaders politiques et citoyens est d’autant renforcée, qu’aujourd’hui les réseaux sociaux constituent un canal important de communication, où de plus en plus, on s’exprime moins pour informer que pour susciter des émotions. Mais si Big Penguin tend à user lui aussi de ces techniques, il prend lui aussi un risque. Car, en jouant avec les émotions et en agitant les masses (« diviser pour mieux régner » comme il le dit), il ne sait pas à quoi il devra s’attendre.
On en arrive ainsi à la seconde raison pour laquelle j’ai décidé de partager avec vous cet extrait aujourd’hui, à savoir, une mise en garde. Comme l’évoque Rabelais dans la suite de l’extrait, c’est alors que, dans la panique, le marchand, les bergers, les gardiens se jetèrent dans l’océan avec les moutons, car il est très difficile de stopper un troupeau en course.
« Le marchand, tout effrayé de ce que devant ses yeux il voyait périr et noyer ses moutons, s’efforçait de les en empêcher et de les retenir autant qu’il le pouvait. Mais c’était en vain. Tous à la file sautaient dans la mer, et périssaient. Finalement, il en prit un grand et fort par la toison sur le tillac du navire, pensant ainsi le retenir et conséquemment sauver le reste aussi. Le mouton fut si puissant qu’il emporta dans la mer avec lui le marchand qui se noya, de la même façon que les moutons de Polyphème le Cyclope borgne emportèrent Ulysse et ses compagnons hors de la caverne. Les autres bergers et gardiens en firent autant, les prenant les uns par les cornes, les autres par les pattes, les derniers par la toison. Tous furent pareillement emportés et noyés misérablement en mer. »
Je ne souhaite pas encourager Big Penguin, mais pour un pingouin aux tendances autoritaires, il devrait plutôt se tourner vers des méthodes qui lui assurent un véritable contrôle sur la population…
Cet épisode a été écrit par
Professeur Poulpi
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